ENRICHIR ET DEVELOPPER L’ IMAGE DE SOI

Marie –josé Houareau sur le travail de Moshe FELDENKRAIS

 

Chacun réagit selon l’image qu’il se fait de lui. Mais qu’est-ce que l’image de soi ? Nous avons tous l’impression que notre façon de parler, de marcher, de nous comporter, de tenir la tête, les épaules, le bassin, etc. est la seule possible. L‘aspect, la voix, la manière de penser, l’attitude, les relations avec le temps et l’espace, tout cela semble héréditaire, accordé de droit par la naissance. Nous nous croyons né ainsi.

ll n’en est rien. L’image de soi, essentiellement composée de sentiments et de sensations, se forme au hasard de la vie et presque à notre insu . Elle n’est que le résultat de nos propres expériences jointes à notre héritage biologique.  Le petit animal est autonome dés la naissance. ll peut se porter et se déplacer lui-même. Pas l’homme. Le petit homme nait avec un système locomoteur qui n’est  pas développé. Notre squelette, notre système nerveux, notre musculature, nos sens, notre potentiel de réceptivité nous sont certes octroyés à la naissance. Mais à l’état quasi embryonnaire. C’est l’éducation qui, ne faisant que perpétuer les modes de la génération précédente, nous fera assimiler la langue de notre entourage ou les façons de réagir propres a la société a laquelle nous appartenons. C’est le hasard du lieu de naissance et l’entourage d’un individu qui détermine ce que seront nos attitudes, nos mouvements, etc. L’image de moi est adaptée au masque sous lequel chacun voudrait être jugé par ses semblables. La plupart des adultes vivent derrière un masque qui Ieur permet de dissimuler leurs désirs et de surmonter le sentiment de vide qui risque de les submerger s’ils se mettaient à écouter ce qui se passe en eux.

Une image de soi complète, donnant la même précision et la même importance à tout le corps est un cas exceptionnel, affirme Feldenkrais. Si nous possédions une telle image, nous serions tous des génies. Malheureusement, il n’en est rien ! Car l’usage que chacun fait de lui-même est très inférieur à ses possibilités. ll correspond,  en fait, aux limites de l’image de soi qui n’est jamais aussi complète ni aussi exacte qu’on le croit. Pour s’en convaincre, il suffit  de tenter l’expérience suivante : fermez les yeux et, avec les index, essayez d’évaluer devant vous Ia largeur de votre bouche ou encore d’estimer, avec vos mains, l’épaisseur de votre poitrine. Vous serez étonné des résultats. Les  personnes qui maintiennent d‘habitude leur poitrine en état d’expiration exagérée, découvriront que, dans leur image de soi, la poitrine est représentée deux ou trois fois plus épaisse qu’elle ne l’est en réalité et inversement. Un examen détaillé de tout le corps apporte plus d’une surprise.

 

La question qui s’impose est donc Ia suivante : peut-on modifier la manière d’être habituelle des individus ? Pour Feldenkrais, la réponse est affirmative. On peut changer de comportement, mais pour ce faireil  faut commencer par modifier l’image de soi. Une telle évolution ne peut se réaliser qu’en faisant participer de façon active le système nerveux. Car c’est le schéma profondément inscrit dans notre cerveau qu’il faut modifier et pas seulement la façon d‘exécuter tel ou tel geste. Dans la rééducation, il faut qu’interviennent le système nerveux et la prise de conscience. Toute autre démarche reste superficielle et ne conduit qu’a des résultats aléatoires et temporaires. C’est au fond de nous que les choses doivent changer, et pas seulement en surface.

Chacun doit être à lui–même son propre modèle
Nous prenons l’Etre comme un système compact et c’est au niveau du système et non pas d’une seule de ses parties qu’il faut intervenir.  Celui qui se sert de ses muscles. dit. Feldenkrais, sans observer, analyser. Comprendre, agit comme une machine, ses mouvements n’ont qu’une valeur mécanique. Un animal ou une véritable machine en feraient autant ou même mieux. C’est bien cela que l’on peut reprocher aux méthodes d’éducation physique traditionnelles encore utilisées de nos jours. Elles attachent toutes du prix à la réalisation d’un modèle que l’élève essaie plus ou moins bien d’imiter. En règle générale, pour enseigner, Ies parents et les professeurs ne savent pas faire autre chose que montrer des exemples puis encourager l’élève à les imiter. ll faut savoir que la solution ne réside pas simplement dans l’entrainement.


On a toujours eu tendance jusqu’ici -en présence d’un trouble fonctionnel à s’attaquer électivement au problème en examinant, par exemple, soit le squelette, soit les muscles, soit le système- nerveux, soit l’environnement. En réalité  c‘est sur la relation entre ces quatre éléments qu’il faut agir déclare Feldenkrais. Et comment ? En considérant le mouvement comme révélateur de l’ensemble de l’organisation que l’on apprend à  mieux utiliser et éventuellement à modifier. Les conceptions de Feldenkrais rejoignent les théories de l’apprentissage qui affirment que la manière d’enseigner compte plus que la matière enseignée. Pour que le mouvement soit  authentique, il faut que ce soit  l’élève qui découvre, par ses propres moyens et grâce à ses sensations, ce qu’il peut faire de meilleur pour lui. Le professeur ne joue qu’un rôle très secondaire, se contentant d’indiquer oralement le mouvement à exécuter et se gardant bien de donner la marche à suivre.

La Méthode Feldenkrais est une méthode globale
Le travail proposé s’adresse à tous ceux qui désirent tirer le meilleur parti d’eux-mêmes et se rapprocher du potentiel maximal que chacun porte en soi. Elle tend à améliorer la prise en charge des humains par eux-mêmes. ll ne s’agit donc pas d‘obéir à des ordres ni d’accomplir des performances. L’idée maîtresse du travail est la suivante : prêter attention à l’expression sensorielle que procure l’amorce des mouvements afin de créer de nouveaux circuits nerveux. Car répéter un mouvement mécaniquement, sans être attentif  à ce qui se produit et à ce que l’on ressent, peut avoir une certaine utilité, mais qui n’ajoute rien au développement. En effet ce ne sont pas les dispositions ou les qualités d’un individu qui doivent être améliorées, mais la manière dont s’accomplissent ses actes. Ce que l’on apprend de cette façon n’est pas un article de plus dans les tiroirs d’une science figée mais une correction dynamique du processus de pensée. L’homme apprend surtout grâce à son expérience individuelle ; les animaux, grâce à l’expérience de leur espèce. Lorsque nous faisons notre entrée dans le monde, nous ne savons parler aucun langage articulé, ni marcher, ni lire ni chanter, ni compter, etc. En revanche, nous possédons une structure dotée de dispositions nous permettant d’accomplir tous ses actes. Bien ou mal.

Pour certaines fonctions, nous sommes dés la naissance aussi bien dotés que les animaux. Les fonctions digestives et respiratoires, les mécanismes d’élimination, de régulation de la température et d’équilibre, de commande des battements cardiaques, tout ce qu’il faut pour que les processus chimiques se déroulent normalement est au point dés le début de la vie. Pas les fonctions de communication. Les abeilles  par  exemples,  construisent toutes leurs ruches. Sur le même modèle. Chez l’homme, rien n’est comparable : sa façon de parler, de se tenir debout, de marcher, etc., n’est pas congénitalement déterminée. Un enfant qui grandit au Japon parlera japonais. De même, la démarche varie d’une culture à l’autre. Ainsi à la différence de tous les autres animaux qui naissent avec un système nerveux prêt à fonctionner immédiatement et qui ne peuvent apprendre que de façon unique et prédéterminée, l’être humain à la faculté d’apprendre  à agir de multiples façons. Les animaux ont un système nerveux qui, à la naissance et à la mort, pèse a peu prés le même poids. En revanche, le bébé humain nait avec un cerveau qui pèse 350 grammes, mais quand l’adulte meurt, il pèse de 1 500 a 1700 grammes. Cette différence, c’est, d’une certaine façon, le poids de l’apprentissage.

La faculté d’apprendre remplace l’instinct animal
Quel que soit le lieu où le hasard fait naître un individu, ce dernier organise obligatoirement son cerveau en fonction des exigences de I ‘environnement. C’est son cerveau très particulier qui va permettre à l’homme de répondre aux exigences de I ‘environnement  que celles-ci soient le chaud ou le froid, ou l’apprentissage des mathématiques.


Mais comment s’opèrent ces apprentissages ? On n’en sait rien, répond Feldenkrais. Toutes les fonctions essentielles de la vie s’apprennent, sans que personne ne sache comment, dit-il. Comment l’enfant apprend-il à marcher ? Comment apprend-il les dix premiers mots de sa vie ? On s’aperçoit simplement un jour qu’il le sait. Il n’y a pas de programme fixé à l’avance. Le programme, c’est l’enfant. Nous ne savons pas comment les actes s’accomplissent. Ce qui est certain, c’est que notre système nerveux, au départ un tableau vierge et malléable, est capable de se faire à toutes les cultures du monde et à toutes les langues du monde. Nous avons un cerveau qui pourrait s’adapter à mille mondes différents. En général, vers treize ou quatorze ans, l‘individu cesse de développer ses facultés d’adaptation. Résultat : l’homme demeure au-dessous de lui-même. C’est pour cette raison que nous sommes loin d’avoir atteint les limites des capacités de l’homo sapiens.

Puisque l’homme possède une conscience supérieurement développée avec un pouvoir d’abstraction qui lui est particulier et grâce auquel il peut discerner ce qui se passe en lui, ll faut donc l’aider à mieux l’utiliser. Le cerveau n’a pas d’instinct. ll lui faut tout apprendre, et puisqu‘il apprend, rien ne l’empêche de le faire de mille façons différentes.

Feldenkrais utilise volontiers l’image suivante prenez cinquante chats noirs et faites-les courir. Vous ne reconnaitrez votre chat que si vous vous êtes donné la peine de l’observer pendant un certain temps. Par contre, il suffit d’avoir aperçu un individu une seule fois pour pouvoir le reconnaitre même a deux cents mètres. ll est facile de l’identifier, a un petit détail. Chacun a une façon qui lui est propre de se mouvoir parce qu’il n’y a pas de loi ni de modèle. ll n’y a, donc pas de ce fait, une bonne posture ni une bonne démarche en soi. ll est aberrant d‘enseigner Ia bonne façon de s’asseoir ou de respirer. Le travail proposé ne consiste donc pas à montrer, par exemple, de quelle façon il faut marcher, courir, tenir le buste, mais à mettre l’individu dans une, situation qui lui permette de découvrir, par ses propres moyens, sans d’autres références, que ce qu’il ressent dans son corps est la meilleure façon, pour lui, d’accomplir ces actes. Il faut apprendre à savoir comment on fait les choses. Car lorsqu’on sait comment on les fait, on peut faire ce que l’on veut.

Les vrais changements se situent dans le cerveau
L’expression du visage, l’attitude debout, la voix reflètent l’état du système nerveux. Ni l’attitude, ni l‘expression, ni la voix ne peuvent être changées sans une modification du système nerveux. Pour améliorer quoi que ce soit de nous, il faut d’abord que le changement se produise en nous, dans le cerveau et le système nerveux. Il faut donc commencer par modifier le centre de contrôle qui régit une activité. «  ll ne peut y avoir de changement dans la musculature sans qu’ait lieu préalablement un changement correspondant dans la région motrice de I ‘écorce cérébrale ».  Dans chaque exercice préconisé, non seulement chacun est son propre modèle, mais encore le corps tout entier participe à ce travail qui mobilise Ia conscience. Dans la pratique, Feldenkrais utilise deux techniques. La première, appelée “intégration fonctionnelle », se déroule sans recours ou  presque à la parole. La seconde, la ”prise de conscience par le mouvement ». Se pratique en groupe, en faisant intervenir la parole, mais sans qu’elle soit indispensable. Toutes deux ont pour objet de donner à chacun le moyen d’utiliser au mieux toutes ses facultés.